𑀧𑀸𑀡𑀸𑀢𑀺𑀧𑀸𑀢𑀸 𑀯𑁂𑀭𑀫𑀡𑀻 𑀲𑀺𑀓𑁆𑀔𑀸𑀧𑀤𑀁𑀲𑀫𑀸𑀤𑀺𑀬𑀸𑀫𑀺

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Un regard critique sur les études classiques.

Toutes les parties de l’éducation, de même que celles de toutes les sciences, ont des relations si intimes, qu’elles ne peuvent point être entièrement isolées; si l’une d’elles repose sur des bases vicieuses, les autres s’en ressentent naturellement. C'est cette relation des parties avec le tout qui fait que le système des études influe sur le moral et sur le physique, ainsi que je vais le démontrer.

Tout le monde se plaint des études ordinaires; on trouve qu'elles sont trop longues, trop incomplètes, et qu'elles ne répondent aux besoins ni des individus ni de la société. En effet, à quoi se passe le temps de l'éducation? Que sait un jeune homme après dix ans d’études? Un peu de grec et de latin et faire quelques amplifications ampoulées, voilà tout. Souvent il ne sait pas même sa propre langue, car il n’est pas rare de trouver des jeunes gens qui ont fait leur rhétorique et qui ne savent pas écrire correctement une lettre. Demandez-leur ce qui produit le tonnerre, la pluie, la neige; pourquoi il fait chaud en été et froid en hiver; pourquoi un ballon s’élève; pourquoi une petite pierre va au fond de l’eau tandis qu’un gros vaisseau surnage? Faites-leur enfin les questions les plus simples sur les phénomènes dont ils sont chaque jour les témoins, sur ceux-là même qui se rattachent à leur existence, vous n’en trouverez pas deux sur mille en état de vous répondre. L’instruction, en général, est si loin d’être en harmonie avec les besoins des hommes que tous sont obligés de recommencer de nouvelles études conformes à l’état qu’ils veulent embrasser. Le dernier ouvrier menuisier ou maçon possède souvent plus d’idées positives et exactes que nos premiers humanistes. Mais, dira-t-on, on n’a jamais prétendu que les études classiques pussent dispenser d’études spéciales. Ce sont des études générales qui conduisent à tout. Sans doute c’est là le but, voyons si elles l’atteignent. Pour qu’une science puisse conduire à tout, il faut qu'elle ait un rapport immédiat avec la plupart des carrières que l’on peut parcourir. Les langues anciennes sont-elles dans ce cas? Je ne le pense pas. Elles ne sont rigoureusement nécessaires que pour le barreau et la médecine. C’est, dit-on, la clef de toutes les sciences; en apprenant le latin on apprend le français, puisque cette dernière langue en est formée. Mais alors comment se fait-il que les neuf dixièmes des jeunes gens ne le sachent pas après avoir étudié dix ans le latin? Si l’on veut s’en convaincre, que l'on fasse à la plupart des rhétoriciens les questions suivantes, et l’on verra combien on en trouvera qui pourront y répondre;

Quelle différence y a-t-il entre alléger et allégir, calfater et calfeutrer, colorer et colorier, coasser et croasser, emplir et remplir, éveiller et réveiller, plier et ployer, recouvrer et recouvrir, âpre et âcre, habileté et habilité, fourniment et fournissement, métal et métail, larmes et pleurs, morale et moralité? Faut-il dire: j'ai trouvé ces écoliers mangeant des cerises, ou mangeants? J'ai lu plus de livres que je ne vous en ai prêté, ou prêtés? Les chaleurs qu'il a fait, ou qu'il a faites? Est-il indifférent de dire: cracher le sang ou cracher du sang, coucher par terre ou coucher sur la terre; demander pardon et demander excuse? Quelle différence établissez-vous entre ces locutions: être faible, avoir la faiblesse, avoir des faiblesses, avoir de la faiblesse; ne faire que parler, ne faire que de parler; dire un mensonge et faire un mensonge; tomber à terre et tomber par terre, etc. Ces règles sont cependant bien simples; elles sont au français ce qu'est au latin la règle de Deus sanctus; mais ce n'est ni le rudiment, ni Virgile, ni Salluste qui les enseigneront; ce ne sont pas ces auteurs qui nous apprendront à écrire en français avec pureté, élégance et clarté, qui nous feront connaître les beautés de notre littérature, mais bien Racine, Boileau, Fénélon, Massillon, La Harpe et tous nos grands écrivains. D'ailleurs, bien que le français dérive du latin; quels rapports y a-t-il entre ces deux langues? L'étymologie seulement; car, quant aux règles, aux formes grammaticales, au génie, à la construction, elles ne se ressemblent pas du tout. Mais, y aurait-il entre elles des rapports encore plus grands, n'est-il pas cent fois plus raisonnable de commencer par celle que l'on parle, dont on a la pratique, dont on n'a plus que la théorie à apprendre, que d'aller faire un détour immense pour arriver au point le plus voisin de celui d’où l'on était parti.

Le latin, ajoute-t-on, sert à apprendre l'histoire et la géographie, parce que les auteurs en parlent; c'est une erreur. Les auteurs classiques n'en présentent que des fragments détachés qui ne peuvent en donner une idée complète. C'est au contraire la connaissance parfaite de ces deux science qui est indispensable pour l'intelligence des auteurs. D'ailleurs, si la proposition ci-dessus était vraie, pourquoi verrait-on tant de jeunes gens qui, après avoir parlé mille fois de Rome et d'Athènes, ne savent pas les montrer sur la carte? Qui après avoir parlé aussi souvent peut-être des principaux événements de l'histoire, savent à peine s'ils sont arrivés avant ou après Jésus-Christ? Le latin donne-t-il à l'architecte les moyens de bâtir plus solidement et plus élégamment? Au mathématicien, au mécanicien, à l'ingénieur plus de justesse dans leurs calculs? Au négociant les moyens de faire fortune? Rend-il la science du médecin moins conjecturale, et un plaidoyer est-il plus convainquant s'il est semé avec profusion de citations latines? Je n'en conclus cependant point qu’il faille le rejeter des études; je le regarde ainsi que le grec, non comme la base, mais comme le complément utile, nécessaire même, de toute éducation soignée; soit parce qu'on l'exige pour certaines études spéciales; soit parce qu'elles contribuent à former le goût et qu'on y trouve les premiers modèles de la belle littérature; soit enfin en raison d'un préjugé auquel il faut encore sacrifier. Mais comme il est bien notoire qu'elles sont inutiles aux trois quarts de ceux qu'on force de les apprendre; qu’il y a un grand nombre de parents qui, tout en voulant faire étudier le latin à leurs enfants, désireraient cependant qu'ils n'y consacrassent pas tous leurs instants; je voudrais un plan d'études qui conciliât les intérêts de tout le monde; qui eût pour base les sciences véritablement fondamentales, et qui offrît des ressources réelles dans toutes les positions de la vie. Les sciences qui ouvrent la route à toutes les carrières, sont les mathématiques et toutes celles qui en dépendent, comme la physique, la chimie, la technologie, la mécanique, les langues vivantes y compris, bien entendu, la langue maternelle que l'on devrait commencer dès que l’on sait lire et écrire couramment. Je n’entends pas ici par étudier le français, apprendre machinalement la grammaire et l'orthographe, mais approfondir les difficultés de la langue et se familiariser avec nos bons écrivains, seul moyen de former son goût et son style. Les mathématiques et la physique font, il est vrai, depuis quelque temps partie des hautes études; c’est assurément une amélioration dont on doit tenir compte; mais si l’on fait attention que ce sont les sciences qui exigent le plus de temps, on concevra facilement que ce n’est pas en deux ou trois ans et en n’en faisant qu’un objet très-accessoire, qu’on peut, les savoir assez même pour l’usage ordinaire. On peut commencer l’arithmétique fort jeune et la savoir parfaitement à douze ans. A dix ans un enfant peut aussi concevoir les premiers éléments de géométrie, et acquérir quelques notions de physique, de chimie et d’histoire naturelle; de sorte qu’à dix-huit ans il aurait consacré à peu près dix ans à ces sciences, et pourrait les savoir parfaitement bien, sans avoir négligé les autres, ce qui lui serait infiniment plus profitable que d’avoir passé le même temps à n’apprendre qu’un peu de grec et de latin. Rien n’empêche de faire marcher ces deux langues avec les autres sciences; mais il faudrait nécessairement renoncer à la vieille méthode qui leur consacre exclusivement huit ou dix ans, et il est bien certain aujourd’hui qu’on peut facilement les apprendre en trois ou quatre ans sans en faire une étude spéciale¹. Mais si l’instruction proprement dite a fait des progrès depuis quelque temps; si l’on voit tous les jours éclore de nouvelles méthodes qui ont pour but d’abréger l’étude et de la rendre plus agréable, ce n’est guère que l’éducation particulière qui en profite, l’éducation publique ayant été jusqu’à présent inséparable de la routine.

Tout ce que je viens de dire relativement au système des études ne s’applique point aux écoles spéciales qui réunissent, sans contredit, tous les avantages désirables, ni aux ressources que la France, et surtout Paris, offrent pour s’instruire. Certainement nous ne le cédons sous ce rapport à aucun autre pays. L’Ecole polytechnique, l’École des mines, les cours publics faits par les premiers savans, les bibliothèques, etc., offrent aux jeunes gens studieux mille moyens de réparer le temps qu’on leur a fait perdre. Cependant quelqu’importants que soient ces avantages, ils sont loin de compenser les graves inconvénients qui résultent de l’insuffisance des études classiques, soit parce que le nombre de ceux qui peuvent en profiter est peu considérable, soit parce que ceux qui peuvent le faire manquent pour la plupart des connaissances préliminaires nécessaires pour en tirer tout le fruit possible. Si nous passons de l’ensemble aux détails, et surtout à la méthode, nous verrons que c’est encore pire. Mettre des livres entre les mains des enfants, et les leur faire apprendre par coeur sans s’inquiéter s’ils les comprennent ou non, voilà la méthode que l'on suit; aussi questionnez la plupart des enfants sur le fond de ce qu’ils savent, et vous serez étonné ou de la nullité du fruit qu’ils en ont retiré, ou de la tournure bizarre que les choses les plus simples ont prise dans leur esprit. L'intelligence doit être développée de bonne heure comme le moral, et ce n’est pas en surchargeant la mémoire de mots qu’on y parviendra, mais en meublant l’imagination d’idées justes. Les mots vides de sens sont dans l’esprit ce que sont dans la terre des graines stériles; ils ne produisent rien sans la connaissance intime des objets qu’ils représentent, car on les oublie aussi facilement qu’on les a appris. S’ils n’avaient que l’inconvénient d’ètre stériles, il n’y aurait qu’un demi-mal; mais les résultats d’une méthode qui s’adresse uniquement à la mémoire ne sont pas douteux. Il arrive nécessairement de deux choses l’une, ou l’enfant est indifférent à ce qu’il apprend, et contracte ainsi l’habitude d’une sorte de légèreté qui le rend superficiel et souvent inconséquent, parce qu’il retient aussi facilement, et sans s’en douter, une absurdité qu’une chose sensée; ou, ce qui est pire encore, il se fait des idées fausses; car les idées fausses viennent toutes d’une conception imparfaite.

Mon intention n’est pas d’entrer dans tous les développements dont ce sujet est susceptible, ce qui me ferait sortir des bornes de cet exposé; mais je dois examiner les inconvénients que le système des études ordinaires présente relativement à l’éducation morale. L’enfant demande à être occupé; cette occupation lui est nécessaire; il faut que son esprit et plus souvent son corps soient en activité. Cette activité est un besoin pour lui; vouloir la comprimer c’est faire violence à la nature. Si l’on savait toujours fournir des éléments à une occupation continuelle, on éviterait aux enfants la plupart des fautes qu’ils font, en neutralisant les impressions dangereuses, et l’on détruirait souvent celles qui auraient été reçues dans le premier âge. C’est un talent particulier que de savoir occuper un enfant; et ce n’est pas un pédant qui croit n’avoir plus rien à faire quand il a donné sa leçon, qui le comprendra jamais. Savoir créer des occupations aux enfants est un des points les plus importants de l’éducation morale; mais il faut que ces occupations soient à la fois agréables et utiles; il faut qu’ils puissent s’y livrer, pour ainsi dire, de leur propre mouvement. Il y a deux sortes d’occupations: celles de l’esprit et celles du corps, ou autrement dit le travail et les jeux. Relativement aux premières, si nous examinons la manière dont on occupe les enfants, nous verrons, d’un côté, un système monotone et insipide, et de l’autre, une méthode aride rebutante; rien d’agréable pour l’esprit, rien qui soit capable de le fixer. Aussi qu’en résulte-t-il? Le dégoût, et quelquefois une aversion insurmontable pour le travail, d’où naissent la paresse et tous les vices qui en sont les conséquences. Combien voit-on de jeunes gens qui se traînent péniblement pendant des années sur les bancs des classes, et qui, semblables à des boeufs qui ne vont que quand l’aiguillon les presse, ne marchent qu’à force de punitions, ou par l’appât que l’on place devant eux pour les attirer! Dès qu’un enfant sait lire, et cet art lui a coûté bien des larmes, le triste rudiment emploie presque tous ses moments. Viennent ensuite, du matin au soir, les thèmes et les versions, et pour changer les versions et les thèmes, et cela pendant dix ans. Est-il étonnant qu’un enfant dont l’esprit est continuellement tendu vers un objet qui lui déplaît, finisse par s’en dégoûter, quand il se lasse même de ses jeux s’ils sont trop longs? Est-il étonnant qu’il prenne cet objet en horreur quand on lui en fait en quelque sorte un supplice? Est-il étonnant enfin qu’il cherche des distractions qui le conduisent souvent au vice? Car il est à remarquer que les habitudes pernicieuses de la jeunesse tirent presque toujours leur origine du défaut d’occupations convenables, soit dans l’éducation particulière, soit dans l’éducation publique. Je dis d’occupations convenables, parce que ce n’est pas le travail qui manque dans les institutions, mais celui dont on les accable est rebutant; il ne satisfait point leur imagination; il n’exerce nullement leur faculté d’observation; ce sont des mots vides de sens dont on remplit de force leur tête, mais qui ne les font point penser. Aussi l’ennui qu’il leur cause le leur fait fuir; ils tâchent de s’y soustraire le plus possible, et une heure de travail qu’ils sont parvenus à éluder est pour eux une bonne fortune. Cependant il est beaucoup plus facile qu’on ne le pense de faire aimer le travail aux enfants; leur esprit est avide de connaître; ils témoignent par leurs questions continuelles le désir de s’instruire; mais fermant les oreilles à la voix de la nature qui indique toujours et dans tout une route infaillible, on les rebute s’ils font une question; on refuse de leur enseigner ce qu’ils désirent savoir; on perd ainsi l’occasion la plus favorable, puisque leur esprit y était disposé; tandis qu'on veut au contraire leur apprendre de force, et d’une manière aussi sèche qu’ennuyeuse, ce dont ils ne sentent nullement l’utilité, ce que le plus souvent ils ne comprennent pas, ce dont on ne leur montre que le côté le plus désagréable, et l’on s’étonne quand des enfants montrent peu de dispositions pour l’étude. Rendez-leur la science agréable; mettez-vous à leur portée; entrez dans leur sphère et ne cherchez pas à les faire entrer dans la vôtre: tels sont les moyens de captiver leur attention. L’instituteur habile sait tirer parti des moindres circonstances pour la fixer; il ne craint pas d'exciter de temps en temps leur gaieté en amenant à propos une petite digression à côté d’une explication sérieuse; il y a dans le ton avec lequel il parle, dans sa manière de les questionner, quelque chose qui les fixe malgré eux et sans contrainte. Tels sont les principes d’après lesquels il me semble que l’instruction doit être dirigée; ils trouvent leur application dans l’enseignement de toutes les sciences et à tout âge. Quand des hommes faits répugnent à entendre un professeur qui enseigne mal, combien cette répugnance ne doit-elle pas être plus grande chez des enfants ! Combien ne faut-il pas, je ne dirai pas plus de science, mais plus de talent pour fixer toutes ces jeunes têtes, que pour instruire des hommes qui ont la volonté d’apprendre? En suivant les principes ci-dessus, on obtient toute l’attention désirable, et leur bonne volonté pour le travail est quelquefois aussi grande que pour le jeu. C’est ce que l’expérience m’a démontré, non pas sur quelques individus isolés qui pourraient être des exceptions, mais sur des classes entières; et je ne veux pas d’autre preuve de ce que j’avance, qu’un fait dont on est journellement témoin; c’est que des enfants qui ne font absolument rien sous certains maîtres, travaillent parfaitement sous d’autres; cependant leurs dispositions n’ont pas changé, mais bien la manière dont on s’y est pris avec eux. Le plan d’instruction que je propose remédierait à tous ces inconvénients, si l’on y applique une méthode simple, claire, facile, agréable et calculée, dans les plus petits détails, sur la nature des opérations de l’esprit. Étant plus varié, il offre plus d’attraits; l’esprit passant d’une chose à l’autre, n’a pas le temps de se fatiguer sur le même sujet, et il y revient avec plus de plaisir. Si, de plus, comme je l’ai dit, on y applique une bonne méthode; si on parle à l’intelligence et non pas seulement à la mémoire, l’esprit prend l’habitude de la réflexion et de l’observation; il sait penser, et cette habitude il la porte partout, même dans les jeux; parce qu’il y trouve souvent l’application de ce qu’il a appris; il met de lui-même à profit ses propres observations chaque fois qu’il en trouve l’occasion; ces occasions se présentent à chaque instant, et l’instituteur habile sait en profiter et les faire naître.

Voyez les enfants auxquels on a donné de bonne heure des idées sur l’histoire, l’histoire naturelle, la physique ou la chimie; les statues, les tableaux, les plantes, les animaux, les phénomènes dont ils sont témoins, une simple pierre, tout les intéresse. Leur attention est fixée, et, par leurs questions, ils prouvent combien on peut tirer parti de leur intelligence quand on sait s’y prendre convenablement. Voyez, au contraire, ces enfants qui se sont abrutis sur leurs livres latins et qui n’ont vu que cela, ils sont étrangers à tout ce qui les environne; rien ne les intéresse, parce qu’ils ne comprennent rien; leur curiosité n’est point excitée; mais parlez-leur de quelque phénomène de la nature, expliquez-leur un fait historique, aussitôt leur intelligence semble sortir d’un sommeil léthargique; ils vous écoutent avec avidité; leurs réflexions, leurs questions semblent vous dire: Nous ne demandons pas mieux que de nous instruire, mais ne nous ennuyez pas.

Un plan d’instruction conçu dans ce sens n’exclut point les études sérieuses, comme quelques personnes pourraient le croire; bien loin de là il les favorise, parce qu’il habitue l’enfant à penser et à sonder le fond des choses. J’ai vu des enfants, instruits de très-bonne heure d’après ce plan, avoir à douze ans une justesse de raisonnement dont beaucoup de jeunes gens ne sont pas susceptibles à dix-huit ou vingt ans, et en état d’entendre les explications les plus profondes. Je conclus donc qu’un plan d’instruction qui offrirait plus de variété et d’agrément présenterait, entre autres avantages, 1° de hâter les progrès en faisant travailler les enfants avec plus de plaisir; 2° d’accroître chez eux la force du raisonnement en leur donnant de bonne heure l’habitude de la réflexion, et de rendre par conséquent leur esprit plus accessible aux études sérieuses; 3° qu’il serait plus en harmonie avec les besoins de la société en ce qu’il préparerait réellement à toutes les carrières que les vicissitudes de la fortune peuvent forcer d’embrasser; 4° qu’on serait bien mieux à même de juger la vocation d’un jeune homme en observant vers quelle partie ses facultés intellectuelles paraissent le diriger, ce que l’on ne peut faire sur un objet unique d’études; 5° qu’il contribuerait essentiellement au succès de l’éducation morale en fournissant à l’esprit des éléments d’occupations utiles et agréables. Parmi les graves inconvénients du plan qui est généralement suivi, on doit remarquer les suivants: La plupart des jeunes gens, ennuyés par dix ans d’études arides, n’aspirent qu’à secouer un joug qu’on s’attache, pour ainsi dire, à rendre le plus pesant possible, et, libres alors, ils se livrent à la fougue de leurs passions, parce qu’il en est peu qui préfèrent repasser Virgile et Horace, qui les ont fait bailler pendant si long-temps, aux frivoles plaisirs que leur offre le monde.

Une instruction qui aurait davantage meublé leur esprit procurerait plus de ressources à leur imagination, les disposerait mieux à poursuivre leur instruction, leur fournirait des éléments d’occupations et préviendrait bien des désordres. Sous ce rapport, je conseillerai toujours aux parents de donner autant que possible à leurs enfants quelques talents d’agrément; parce qu’indépendamment des avantages qu’ils peuvent leur procurer dans la société, ils fournissent un délassement qui peut souvent leur éviter bien des écarts.

L’idée fausse que l’on se fait de l’éducation, et la persuasion où l’on est quelle se borne à l’instruction, a fait négliger tout ce qui y était étranger. Ou n’a pas réfléchi que l’éducation se compose de tous les instants de la vie, puisque en tout temps l’enfant peut recevoir des impressions. Aussitôt qu'il a pris sa leçon, on l’abandonne à lui-même, comme si le reste du temps devait nécessairement être perdu pour lui. Cette erreur, qui a des inconvénients très-graves dans l’éducation particulière, en a de plus graves encore dans l'éducation publique, où, par la réunion d’un grand nombre, ils s’entraînent souvent les uns les autres s’ils n’ont pas des occupations bien déterminées. L’emploi du temps que les enfants passent hors des études est donc une chose très-importante. Si, par une sage combinaison, on parvient à leur créer des occupations agréables et continues du matin au soir, en exerçant alternativement leur corps et leur esprit, on détruit les effets des mauvaises impressions qui ont alors un accès bien plus difficile, et on prévient le mal auquel conduit l’oisiveté.