𑀧𑀸𑀡𑀸𑀢𑀺𑀧𑀸𑀢𑀸 𑀯𑁂𑀭𑀫𑀡𑀻 𑀲𑀺𑀓𑁆𑀔𑀸𑀧𑀤𑀁𑀲𑀫𑀸𑀤𑀺𑀬𑀸𑀫𑀺

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L'éducation est un art pédagogique méprisé.

De tout ce que nous venons de remarquer il résulte que l'éducation est un art particulier bien distinct de tous les autres et qui, par conséquent, exige une étude spéciale; que ce n'est même ni le plus facile à étudier ni le plus aisé à pratiquer; il exige des dispositions et une vocation toutes particulières; il exige des qualités morales qui ne sont pas données à tous les hommes, telles qu'une patience et une prudence à toute épreuve, de la fermeté mêlée à la douceur, une grande pénétration pour sonder les caractères, un grand empire sur soi-même, la volonté et la force de dompter ses passions, enfin toutes les qualités que l'on veut transmettre à la jeunesse. Il exige de plus une connaissance approfondie du coeur humain et de la physiologie morale, une connaissance parfaite des moyens les plus propres à développer chez les enfants les facultés morales, physiques et intellectuelles, et un tact particulier pour les appliquer à propos. Ces moyens, je le répète, doivent être étudiés comme on étudie les remèdes de la médecine.

L'éducation, considérée comme art pédagogique, n'a été jusqu'ici l'objet des spéculations que d’un très-petit nombre d'individus qui s'en sont occupés par goût; mais il est à remarquer que la plupart de ceux qui ont fait sur cet art de profondes recherches ne l'ont jamais pratiqué. Aussi se sont-ils souvent abandonnés à des idées systématiques inexécutables ou nuisibles, tandis que ceux qui le pratiquent ne l'étudient point. Sur mille personnes vouées à l'éducation, on n'en trouvera souvent pas une qui ait lu le quart des ouvrages qui en traitent. Ceux qui se destinent au barreau ne peuvent être avocats sans avoir étudié les lois; on ne confierait pas sa santé à un individu qui se dirait médecin sans avoir étudié la médecine; pourquoi confie-t-on donc si légèrement ses enfants à des hommes qui ne savent ce que c'est que l’éducation? Je fais autant de cas d'un instituteur (comme instituteur et non comme individu) qui n'a pas étudié son art, que d'un charlatan qui débite des drogues qu'il dit approuvées par l’Académie de médecine. Je sais bien que pour l'instruction on a soin de choisir des professeurs habiles; mais il y a une grande différence entre un professeur et un instituteur; le premier se borne à enseigner; il lui suffit pour bien remplir sa tâche d'être instruit et d'avoir une bonne méthode; mais le second est chargé du développement entier de l'homme et c'est ce à quoi on s'attache le moins. Si le premier est mauvais il ne fera que des ignorants, l'autre fera de plus des hommes vicieux. Il me semble tout aussi absurde de confier ses enfants à un homme qui ignore l’art de l'éducation qu'il serait ridicule de confier leur instruction à un ignorant. Croit-on donc qu'il suffise de savoir traduire Virgile et Horace pour élever des enfants? Non, je ne saurais trop le répéter, l'éducation ne se borne pas à la seule instruction; d'ailleurs, toutes les parties de l'éducation sont si étroitement liées, que je ne conçois pas qu'on ait jamais pu les séparer.

On peut voir, par ce qui précède, combien notre système d'éducation est loin de la perfection, et surtout combien il est incomplet si on l'entend dans la véritable acception du mot. Parmi les causes qui ont contribué à ce retard, il en est une, peut-être plus difficile à détruire en France que partout ailleurs, et qui tient, comme je l'ai dit en commençant, à un préjugé généralement répandu contre tout ce qui a rapport à l'éducation; je dirai même qu'il y a une sorte d'humiliation, attachée à la profession d'instituteur; on méprise ce qui tient à l'enfance, et le nom d'école a quelque chose de bas et de vil dans le monde. Celui qui s'occupe de grands intérêts rougirait de s’immiscer dans ce qu'il regarde comme au-dessous de lui. L'éducation est cependant soumise à des principes et à des vérités d'un ordre assez élevé; elle touche les intérêts publics et privés d'assez près pour être digne, à tous égards, des méditations des philosophes et des législateurs; plusieurs nous en ont fourni des exemples remarquables; mais écoutez la plupart de ces hommes du monde parler de l'éducation; ils ne trouvent pas d'expressions assez énergiques pour peindre son importance dans l'ordre social. Voyez-les ensuite accueillir un instituteur, celui même de leurs enfants ! Quelle morgue! Quelle fierté dans leurs manières ! C'est à peine s'ils daignent l'honorer d'un sourire protecteur; ils croiraient s'humilier en lui témoignant quelques égards. Vous, qui vous destinez à l'éducation, quel que soit le motif qui vous y porte, attendez-vous à éprouver tous les désagréments, toutes les humiliations, toutes les contrariétés, et plus souvent encore toute l'ingratitude imaginable. N'attendez la récompense de vos soins les plus assidus que dans la satisfaction intérieure d'être utile. Ceux même à qui vous aurez rendu les plus grands services, ceux dont les enfants vous auront donné le plus de peine, sont ceux qui vous donneront le moins de satisfaction. Comptez rarement sur leur reconnaissance, encore moins sur leur justice. Quel est l'instituteur qui n'a pas eu à souffrir, maintes fois, de l’aveuglement des parents sur le compte de leurs enfants? Ceux-ci font-ils des progrès? On ne vous en tient point compte; c'est qu'ils ont une intelligence étonnante. Sont-ils sots? C'est votre faute. Parvenez-vous, à force de soins et de patience, à réformer leur caractère? C'est qu'ils ont un naturel charmant. Sont-ils vicieux? Vous en êtes la cause, Malheur à vous si vous vous permettez de leur trouver des défauts auprès de certains parents. Voilà comment on est secondé. Je me plais cependant à reconnaître que tous les parents ne doivent pas étre rangés dans cette catégorie. J'en ai trouvé beaucoup qui m'ont donné toute la satisfaction désirable, et si tous étaient comme ceux-là, l'éducation serait un plaisir; car, je dois le dire franchement dans l'intérêt général, ce sont les parents qui, par leurs exigences ridicules, par leur peu de raison et par leur ingratitude, rendent cette carrière plus pénible que tous les défauts des enfants. Ce n'est pas à ces marques de générosité, qui ne satisfont entièrement que les ames viles et intéressées, que l'on peut apercevoir la véritable reconnaissance des parents; on peut être généreux envers tout le monde, envers un ouvrier, un domestique; mais on ne témoigne des égards qu'à ceux que l'on estime. Or, si vous ne donnez pas à l'instituteur de vos enfants des marques d'estime, c'est sans doute que vous ne l'en jugez pas digne. Comment se fait-il alors que vous confiiez à un homme qui, à vos yeux, n'est pas estimable, le soin d'inspirer à vos enfants de nobles sentiments? Faites-vous une différence entre les fonctions d'instituteur et celles de valet-de-chambre? Assurément, direz-vous. En ce cas, établissez-en une entre les personnes qui les remplissent; car, dans les éducations particulières, les instituteurs sont en général considérés comme de premiers valets, et dans l'éducation publique, on les regarde comme les successeurs des nourrices. Songez qu'ils vous remplacent; qu'ils exercent auprès de vos enfants, non des fonctions basses et serviles, mais celles que vous devriez remplir vous-même. La conduite des parents vis-à-vis d'un instituteur influe beaucoup sur celle des enfants; ceux-ci mesurent le respect qu'ils lui portent sur celui qu'ils lui voient témoigner; rarement ils se permettront d'en manquer envers celui qu'ils verront chez eux entouré d'égards. Pères et mères qui prenez la peine de me lire, veuillez bien méditer ce dont je parle en ce moment; c'est plus important que vous ne le pensez pour l'intérêt de vos enfants. Le succès de leur éducation dépend du degré d'influence qu'exerce sur eux la personne chargée de les élever, et bien souvent vous la détruisez au lieu de chercher à l'accroître. En témoignant aux instituteurs plus d'égards que vous ne le faites, c'est le meilleur moyen de les intéresser à vos enfants, et de leur faire supporter plus patiemment les difficultés qu'ils rencontrent dans leur éducation. Songez que rien n'est plus pénible que d'être chargé d'élever les enfants des autres, et si vous en êtes souvent embarrassés vous-mêmes, combien ne doit pas l'être un étranger? Les ennuis, les contrariétés, les dégoûts dont les instituteurs sont souvent abreuvés, éloignent de cette carrière les hommes d'un mérite distingué. Il en résulte que l'éducation, et surtout la première, reste le partage d'hommes médiocres, sortis le plus souvent d’une classe très-inférieure, dans laquelle ils n’ont pu recevoir eux-mêmes une éducation sociale convenable à leur mission. Songez qu'un homme qui s'estime et qui sent sa dignité s'exposera rarement à être ravalé aux yeux de ses élèves par la distance que vous voulez mettre entre vous et lui. L'instituteur, dites-vous, est votre représentant auprès de vos enfants. Oui, il vous remplace; c'est pour cela que vous devriez le considérer en quelque sorte comme un membre de la famille, comme un véritable tuteur chargé de veiller à leurs plus grands intérêts. Vous exigez avec raison qu'il s'attache à vos enfants; c'est son devoir en effet; il doit les regarder, les aimer comme s'ils étaient les siens; c’est alors qu'il a une influence pour ainsi dire indéfinie sur eux, et qu'il peut réellement obtenir d'heureux résultats. Mais croyez-vous que cet attachement puisse se commander? Croyez-vous que vos enfants n'auront point de manières, point d'habitudes qui inspirent pour eux de l'éloignement? Croyez-vous qu'il soit plus facile à un étranger de supporter des désagréments dont vous vous plaignez souvent vous-mêmes? Croyez-vous qu'un instituteur dont vous blessez l'amour-propre par vos manières et par vos réflexions humiliantes, que vous étourdissez par des exigences sans mesure, ne puisse pas se butter contre vos enfants? Et, qui vous répond que ceux-ci n'en souffriront pas? Tâchez donc de compenser les ennuis de cette tâche pénible, moins, comme je l'ai dit, par une générosité souvent humiliante, mais par ces égards, par ces prévenances délicates, seules capables de satisfaire complètement tout homme qui a des sentiments élevés. Mais, dites-vous, je le paie pour cela; n'est-ce pas assez? Parents! Vous vous plaignez de ce que les instituteurs font un métier de l'éducation; mais si vous les considérez comme des mercenaires, est-il étonnant qu'ils vous donnent de la marchandise en échange de votre argent? Ces réflexions paraîtront peut-être déplacées de ma part comme partie intéressée. J'aurais voulu que d'autres les fissent avant moi pour me les épargner; mais l'expérience m'ayant démontré les véritables besoins de l'éducation, je crois de mon devoir de les exprimer franchement, et je puis certifier que je ne parle ici que dans l'intérêt général, déclarant, pour mon propre compte, n'avoir point à me plaindre sous ce rapport. Je désirerais, il est vrai, voir la profession d'instituteur élevée au rang qu'elle me semble devoir occuper dans la société, parce que je sens que cela est nécessaire aux progrès de l'éducation dont l'influence sur le bonheur des hommes ne saurait être douteuses; mais je crois avoir prouvé, par la sévérité avec laquelle j'envisage les obligations de cette profession, que je ne prétends point que les instituteurs jouissent gratuitement de la considération que je réclame en leur faveur; je veux qu'ils commandent l'estime, et je ne crois pas, dans la part que j'ai faite des devoirs respectifs, leur assigner la charge la moins forte.

Il n'est peut-être pas inutile de chercher la cause première de l'espèce de discrédit dans lequel se trouve la carrière de l'éducation dans le monde, C’est en remontant à la source d’un mal qu'on peut plus facilement trouver les moyens d'y remédier. Ce discrédit tient à l'idée fausse qu'on s'est toujours faite de l'éducation. Persuadé qu'elle se borne à l'instruction, on n'a exigé des instituteurs que celle qui leur est rigoureusement nécessaire pour l’âge dont ils doivent s'occuper; aussi est-elle très-bornée; car, pour les instituteurs du troisième degré par exemple, on ne leur demande que de savoir lire, écrire et faire les quatre règles. On conçoit qu'il n'est pas difficile de trouver des personnes qui ne sachent que cela, surtout lorsqu'on ne s'inquiète pas s'ils ont ou non une bonne méthode pour l'enseigner. Il en est résulté qu'une foule de gens sans éducation eux-mêmes ont embrassé cette carrière uniquement parce qu'elle leur offrait une ressource ou parce qu'elle les élevait un peu; sortis en général d'une classe très-ordinaire, ne connaissant point le monde, infatués du petit mérite qui les avait fait sortir de leur première sphère et qui leur donnait quelque prépondérance sur les personnes de leur rang; d'un autre côté; flattés de commander et de se faire obéir, ces gens ont regardé comme devant accroître leur considération cet air pédant qui les a rendus le ridicule de la société. N'ayant jamais réfléchi sur l'objet de l'éducation ni sur les moyens de former la jeunesse, ils n'en ont pas trouvé de meilleurs que de lui imprimer de la terreur; de là l'invention des férules, des martinets et de tous ces instruments de douleur ou d'infamie, qui sont, à dire vrai, des attributs peu propres à donner de la considération dans le monde. Ceux des instituteurs qui ont pu acquérir quelque instruction de plus se sont livrés à un enseignement supérieur; mais pour eux, professer les humanités, c'est le comble de la gloire, et leur pédanterie n'a pu diminuer par ce surcroît d'honneur. Ne fréquentant point le monde, ils n'ont pu ni se former à ses usages, ni acquérir ces moeurs sociales que doit avoir tout homme qui veut y tenir un rang; ils ont par conséquent conservé le ton et les manières qui les en avaient exclus; de là cette prévention qui a éloigné de cette carrière les hommes d'un mérite réel qui auraient pu la perfectionner. Il en est plusieurs cependant qui se sont mis au-dessus des préjugés et qui ont donné la mesure du degré de considération auquel peut prétendre un instituteur qui sait s'en rendre digne, Pestalozzi et le père Girard de Fribourg se sont occupés de la première enfance, ils ont tenu ce qu'on appelle des écoles, et cependant ils ont été entourés, non-seulement de considération, mais de vénération, de véritables honneurs; plusieurs souverains même leur ont donné des marques d'une estime peu commune. M. de Fellemberg, à Hoffwyll, ne s'est pas cru déshonoré, malgré son rang, en se mettant à la tête d'un établissement d'éducation par lequel il s'est acquis une réputation méritée. L'abbé Gaultier ne s'est-il pas aussi occupé lui-même des enfants et n'a-t-il pas acquis des droits à la reconnaissance publique? Voilà de ces hommes qui sont l'honneur de l'éducation; malheureusement ils sont rares, parce qu'il y en a peu qui aient l'esprit assez fort pour se mettre au-dessus des préjugés. Il dépend donc des instituteurs de se rendre dignes d'égards en se mettant à la hauteur de leurs fonctions, et de la société de ne pas les rebuter. Pour le bien de la chose il y a des deux côtés des préjugés à vaincre et des devoirs à remplir.